Campus de métiers : un pas de plus vers la privatisation et la soumission

Dans la loi d’orientation sur l’école et la circulaire pour la rentrée de septembre 2013, Vincent Peillon annonçait la mise en place de campus des métiers. Le BO n°20 du 16 mai 2013 définit l’appel d’offre pour la mise en place de ces nouvelles structures de formations professionnelles.

Description des « Campus »

L’objectif est que chaque académie mette en place un Campus des métiers. Celui-ci, dans l’esprit des lycées des métiers créés par Melenchon, doit s’appuyer sur un champ professionnel et sur un bassin local d’emploi. Le rêve du Ministre regroupe sur un même lieu différentes structures : lycée pro et polyvalents, CFA (apprentissages); organismes de formation, établissement d’enseignement supérieur et… entreprises.

Sur ce campus, on devrait trouver aussi des hébergements universitaires et des infrastructures sportives.

Les Campus des métiers ont pour vocation d’accueillir à la fois des élèves en formation initiale, des apprentis, mais aussi des salariés en formation continue ou des chômeurs.

La variété des structures, des âges, des missions… pose la question de la gestion de ces campus. Un EPLE (établissement publique local d’enseignement) pourra s’en charger, ou une association qui aura comme obligation d’avoir au moins un EPLE comme membre. Les autres membres peuvent être les centres privés de formation, les entreprises… Tous les partenariats mis en place avec les entreprises locales et les différents acteurs du Campus feront l’objet de conventions spécifiques. Enfin, la labellisation de Campus des métiers doit être accordée pour une durée de quatre ans.

Un enchevêtrement pédagogique

Ces structures peuvent sembler intéressantes par l’aspect global des formations proposées. Regrouper dans un même espace différents niveau de qualification doit être enrichissant, au moins d’un point de vue humain. Encore faut-il que les élèves de CAP ou de bac pro soient réellement en contact avec les étudiants en licence professionnelle ? Or, on peut en douter surtout lorsque l’on constate aujourd’hui les réticences, pour ne pas dire les blocages des Rectorats pour ouvrir des BTS dans les lycées professionnels. En effet, il ne sont que 10% dans les LP.

D’autre part, le texte du BO évoque « une participation active » des étudiants. L’expression peut faire rêver mais les détails sont moins réjouissants. Il est préciser que la collaboration entre les enseignants et tous les intervenants doit être au centre des apprentissages. Il faut ici comprendre collaboration avec les entreprises pour mettre en place les contenus et les objectifs d’apprentissage ! Enfin le statut des étudiants pourra être variable tout au long de leur formation : statut scolaire, puis apprentissage et même formation continue. J’imagine assez facilement le parcours d’un élève, appelons le Rémi. Rémi entre en 2nde bac pro. Les cours lui plaisent mais il commence avec des difficultés et ce pour différentes raisons. Du coup, en milieu de 1ère, Rémi tombe progressivement dans le décrochage scolaire. Mais ce n’est pas grave, plutôt que de trouver des solutions, on va pouvoir l’envoyer chez un patron pour faire un apprentissage. Malheureusement, son apprentissage ne lui suffit pas pour suivre les évolutions de son métier, donc Rémi va devoir revenir au Campus des métiers pour se remettre à niveau sinon il sera licencié. Évidemment on aurait pu se donner les moyens de former Rémi pour lui permettre de valider son bac et d’évoluer de façon autonome. Mais il n’aurait pas été suffisamment soumis aux intérêts des entreprises locales qui, rappelons-le, sont parties prenantes des Campus des métiers. Grâce à ce type d’aménagement, il n’est plus nécessaire de mettre en place des modules de remédiation, des groupes en effectifs réduits. S’attacher à faire réussir tous les élèves risque de ne plus être une priorité si la réorientation devient la solution.

Pour finir, les structures même d’accueil demeurent floues. En effet, le texte de loi évoque des « CFA » et autres « centres de formation » mais sans jamais préciser s’il s’agit de structures publiques ou privées. On peut craindre que ces imprécisions sont volontaires et visent à ouvrir l’accès aux multiples entreprises privées qui font de la formation professionnelle (elles représentent plusieurs millions de chiffres d’affaires par an).

La soumission aux intérêts du capitalisme

Les intérêts des entreprises sont prédominants dans ces Campus des métiers. Dès le dossier de candidature, les « réels besoins des entreprises à l’égard des établissements » doivent apparaître de façon claire. Le champ professionnel choisit pour le Campus doit donc correspondre à des besoins locaux en terme de main d’œuvre. D’ailleurs l’avis des branches professionnelles est souhaité dans le texte de loi. On voit bien ici que l’idée de mobilité des populations, et donc d’ouverture et d’émancipation, est remplacé par une vision digne du XVIIIe siècle. On nait, on grandit, on étudie pour travailler au même endroit. C’est donner le pouvoir aux patrons quant à l’évolution économique des territoires alors qu’on peut penser que la population, et donc sa jeunesse, doit avoir une influence majeure.

De même, en terme d’activité pédagogique, les entreprises sont les grandes gagnantes via la « mise à disposition des plateaux techniques » du Campus. Dans le langage des lycées pro, on appelle ça l’utilisation des ateliers par les entreprises. Les étudiants, avec leurs professeurs qui auront développé, ou subi, le partenariat avec l’entreprise de référence, vont pouvoir « réaliser des prototypes ou des essais » pour le compte de cette entreprise. Imaginons un Campus des métiers de la restauration. Ce Campus a entre autre comme partenaire une entreprise de restauration qui fabrique des plateaux repas. Dans ce contexte, les étudiants en bac pro cuisine pourront travailler à la mise au point de nouvelles recettes pour que l’entreprise puisse intervenir dans le marché haut de gamme. Pratique, les patrons n’auront plus à financer les secteurs de recherche-développement. Du coup, ils vont pouvoir engraisser davantage les actionnaires. Ce qui est moins bien c’est pour Rémi et ses camarades de classe qui ne pourront pas trouver de travail vu que le boulot sera fait par leurs successeurs !

Ces campus des métiers brillent sur le papier : ouverture internationale et européenne, développement du numérique (même ou surtout s’il n’est pas utile d’un point de vue pédagogique), mélange des étudiants… Mais le problème c’est l’esprit dans lequel est mis en place cette nouvelle structure. Partenariat public-privé, influence voire même contrôles par les entreprises locales, mélange des publics au profit de parcours professionnels précaires, pôle de spécialisation sur le territoire…

Nous sommes ici dans la pure tradition libérale du capitalisme. Merci à cette gauche libérale pour cette nouvelle avancée dans destruction de la formation professionnelle publique.

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